De la critique démesurée de la décision en période virale…. L’avis du Cardinal

July 18, 2023


Notes sur l'auteur

Yves Joncour est consultant co-fondateur d’YMAGO Conseil, auteur de nombreux articles et d'ouvrages sur le management public.
Il est aussi chargé d’enseignement et co-responsable du DU «audit de la gestion des organisations publiques» à l’Université Paris-Dauphine



Le confinement prête à la réflexion ; Introspective, sans nul doute, sur l’incertitude de son propre devenir dans un monde en crise, mais critique aussi sur les comportements des uns et des autres à l’égard des décisions de l’exécutif devant un phénomène inconnu, évolutif, dangereux et affectant (infectant) pêle-mêle les rapports sociaux, l’économie, les marchés, les conditions de vie.


Toutes les certitudes d’hier sont ébranlées. Aucun plan d’action et de maîtrise des risques n’avait vu ce sale coup viral venir. Les stratégies, les décisions sont adaptatives. La « vérité » du lundi 15 n’est plus celle du mardi 16 mars. Information, désinformation, génies par-ci, gourou par-là, rationalité ou intuition, comment s’y retrouver dans les hésitations postulées de la Gouvernance ?


Pour cette première chronique, il me fallait bien parler de la Vendée et de l’une de ses célébrités (il y en a eu de véritables, de Charrette au Tigre…) d’adoption (il est né à Paris), mais tellement ancrée dans la mémoire collective comme le «diable rouge» des trois mousquetaires d’Alexandre Dumas. Armand Jean Du Plessis de Richelieu a non seulement été ministre d’Etat du roi Louis XIII traitant de questions militaires (sans pitié pour les charentais de La Rochelle, cité protestante, restée depuis toujours rad-soc, comme on dit...) mais aussi conseiller en management de la chose publique et maître de la pensée d’Etat, dont les mémoires sont le testament politique[1].


Comment ne pas évoquer, l’importance que notre Cardinal de Luçon accorde à «la lumière de la raison[2]» sans laquelle il n’y a pas de décision logique, si elle n’est étayée par une rationalité factuelle.


Ses propos font pleinement écho aux critiques de tous bords, rarement fondées sur un savoir objectivable, rarement sensées qui pèsent sur les décisions d’un exécutif hésitant en période de pandémie virale.

Mais s’il n’est pas si simple d’agir, pour Richelieu, il convient pourtant de ne pas hésiter à oser. «Nos maladies étant compliquées, et, par conséquent de cette nature que ce qui est bon à l’un de nos maux est mauvais à l’autre, il est difficile de donner une résolution qui n’ait aucun inconvénient[3]».
Il s’agit, pour le Cardinal, de faire au mieux avec les informations dont on dispose, car il se trouvera toujours quelqu’un pour remettre en cause des mesures générales. Le propre de l’intervention de l’Etat tutélaire, n’est-il pas de contraindre l’individu en remettant en cause ses préférences individuelles dans l’intérêt de la collectivité ?




L’important, c’est de faire, d’agir au risque de se contredire quand l’environnement adverse vous y oblige. Richelieu est un pragmatique, un opérationnel et non pas un philosophe de la raison. S’il a conscience de la nécessité de «prise de temps» dans la mise en place des réformes, il est pris lui-même de contradiction dans sa volonté d’efficacité et d’application «ferme» des actions décidées par une administration centrale forte et royale : «Il est quelque fois de la prudence d’affaiblir les remèdes pour qu’ils fassent plus d’effet, et les ordres les plus conformes à la raison ne sont pas toujours les meilleurs parce qu’il ne sont pas proportionnés à la portée de ceux qui les doivent pratiquer[4]».


La raison l’emporte sur la passion, sur le débat contradictoire qui se fonde trop souvent sur l’émotion : «S’il est vrai que la raison doit être le flambeau qui éclaire les princes et leur conduite et en celle de leur Etat, il est encore vrai que, n’y ayant rien au monde qui compatisse moins avec elle que la passion qui aveugle tellement qu’elle fait quelquefois prendre l’ombre pour le corps, un Prince doit surtout éviter d’agir par un tel principe…/…[5]».


Et il insiste encore, surtout ne pas baisser les bras quel que soit le «mauvais évènement» : «Le gouvernement du Royaume requiert… une fermeté inébranlable, contraire à la mollesse qui expose ceux en qui elle se trouve aux entreprises de leurs ennemis. Il faut en toute chose agir avec vigueur, vu principalement que, quand même le succès de ce qu’on entreprend ne serait pas bon, au moins aura-t-on de cet avantage que, n’ayant rien omis de ce qui pourrait le faire réussir, on évitera la honte, lorsqu’on ne peut éviter le mal d’un mauvais évènement».


Même si Richelieu était loin d’en être un, ses propos ne sont pas sans rappeler le célèbre aphorisme du grand poète René Char : «Agir en primitif et penser en stratège». Doit-on en conclure que l’action incontrôlée précède le plus souvent la réflexion sensée ? Le succès n’est alors que le résultat de la chance, de la conséquence vertueuse du hasard. Tout cela ne relève pour certains que d’une pure création de l’esprit. Le factuel, le naturel rejettent la capacité à anticiper l’avenir. Selon Maurice Allais (prix Nobel d’économie en 1988 et mort dans une certaine indifférence en 2011), qui a tant prôné le rapprochement des sciences économiques, de la sociologie et de la psychologie : «Se référer à la « chance », une pure création de l’esprit humain, pour expliquer la réalité du monde, cela revient à une résignation de l’intelligence, un principe mythique…Les concepts de chance et de probabilité sont des pures créations de notre esprit, ignorés de la nature …/...[6]».


Essayer de prévoir, de résoudre les désordres dans l’intérêt de tous relève du Politique qui est différent du pouvoir de l’Etat. L’Etat, comme toute organisation s’appuie sur ce qu’Henry Mintzberg appelle les systèmes d’influence (l’autorité, l’idéologie, la compétence et la politique). Selon lui, le système politique «reflète un pouvoir qui est de nature techniquement illégitime[7]».


Dès lors, parmi les «treize jeux politiques» qu’il identifie (insoumission, alliances, empire, compétences spécialisées, budgétisation,…), il en est un qu’il convient de retenir et qui n’aurait aucunement déplu à notre «cher» cardinal de Richelieu ; C’est celui du «coup de sifflet[8]» qui fait taire les cassandres (ne voyant que malheur dans l’avenir) et qui impose à un «détenteur d’influence», externe à la prise de décision, de se taire lorsque ces propos sont illégaux et affectent la survie de l’organisation et de la société dans son ensemble.



[1] « Testament politique de Richelieu », Edition Perrin, 2011 (Voir l’analyse critique de Jean-Baptiste Noé in Contrepoints : la pensée politique de Richelieu, 2012)

[2] Voir à ce sujet, André Lafrance, « 10 leçons de management selon Richelieu », Les presses du management, 1993

[3] Lettre à Monsieur le Prince de Condé (encore un protestant…) en 1628, in Pierre Grillon, Les papiers de Richelieu, Pedone, 1979

[4] Op cit « Testament politique de Richelieu »

[5] Op cit « Testament politique de Richelieu »

[6] Cité par Marianne Belis et Paul Snow dans leur livre érudit et précieux, « Comment cerner le hasard », Supinfo Press, 2001

[7] Henry Mintzberg, « Le management, voyage au centre des organisations », éditions d’Organisation, 1989, page 344 (la politique dans les organisations)

[8] Henry Mintzberg, « Le management, voyage au centre des organisations », éditions d’Organisation, 1989, page 346 (la politique dans les organisations)