La comptabilité d'analyse des coûts

July 18, 2023
La comptabilité d'analyse des coûts (CAC)

Article extrait de l'Encyclopédie du management public, Gestion publique, IGPDE 2022 (p.147)


L’article 55 du décret du 7 novembre 2012, modifié par le décret du 25 septembre 2018, stipule que la comptabilité publique comporte une comptabilité budgétaire, une comptabilité générale et « selon les besoins propres à chaque catégorie de personnes morales mentionnées à l'article 1er (Etat, opérateurs, hôpitaux, collectivités locales…), une comptabilité analytique » permettant pour l'Etat, l'analyse des coûts des actions engagées dans le cadre des programmes (Art. 27 de la LOLF).


CAC et comptabilité de gestion


Dans les premiers temps de sa mise en œuvre (2006-2018), cette CAC présentait un double travers. D’une part, elle s’apparentait à une comptabilité budgétaire par destination reposant sur la ventilation des dépenses (personnel, fonctionnement et investissement) des actions et programmes support sur les actions et programmes « métiers », à partir de clés de déversement grossières. D’autre part il s’agissait d’un exercice convenu lors de l’élaboration des projets annuels de performance (PAP) et des rapports annuels de performance (RAP), sans réel intérêt en termes de transparence, d’information pour le Parlement et d’aide à la décision pour les managers publics (Lambert, 2001).


Le terme de comptabilité analytique est donc consacré réglementairement en comptabilité publique. Son objet, conforme aux définitions formulées antérieurement (Gibert, 1980 et DIRE, 2002), est de « mesurer le coût d’une structure, d’une fonction, d’un projet, d’un bien produit ou d’une prestation réalisée et les cas échéant des produits afférents en vue d’éclairer les décisions d’organisation et de gestion » (art.59 du décret GBCP).


Le terme de comptabilité de gestion, traduction du terme anglo-saxon managérial accounting (Smith Bamber et alii, 2008) moins usité dans le secteur public, a peu à peu remplacé celui de comptabilité analytique depuis une vingtaine d’années. Si la comptabilité analytique a été supprimée du cadre juridique comptable français (règlement CNC 99-03 et ANC 2014-03), elle constitue une « bonne pratique » complémentaire à la comptabilité financière. C’est un outil « permanent d’information permettant la mesure de la performance été l’aide à la prise de décision au sein de l’entreprise » (Demeestere, 2007).


Il est néanmoins possible de mener des analyses de coûts sans disposer d’un système standardisé et généralisé de comptabilité de gestion assurant l’enregistrement, le classement et le traitement des charges et produits par destination.


L’analyse des coûts peut être ponctuelle et sur un périmètre comptable limité. Elle relève d’une approche en coûts directs, intégrant éventuellement un ratio standard de charges de structure. Elle s’avère utile pour estimer la pertinence d’une externalisation (acheter ou louer des véhicules, passer un marché public de prestations de service plutôt que les exécuter en régie) ou tarifer à partir d’un seuil de rentabilité (comptabilité de contribution).


Le développement de la CAC dans le secteur public


D’une possibilité (ordonnance de 1959 et décret de 1962), la CAC est devenue une obligation dans le secteur public pour des raisons diverses qui tiennent au respect de l’obligation de rendre compte de la performance, de la réglementation européenne sur l’utilisation des fonds mis à disposition dans le cadre des politiques communes (PAC) et du financement de la recherche, du droit de la concurrence lorsque le secteur privé peut offrir des biens et services substituables à ceux produits par le public et du droit fiscal.


Dès le début des années 1980, les villes avaient amorcé des calculs de coûts (Ville d’Angers), suivi par les Départements en butte notamment à l’augmentation des dépenses sociales et à la tarification des établissements sociaux et médicaux sociaux. La comptabilité analytique hospitalière a mis du temps à se généraliser, après un démarrage dans le milieu des années 1980, puis a été rendue nécessaire avec l’implantation de la tarification à l’activité (T2A-2004). Les opérateurs publics ont impulsé des études de coûts au cours de ces quinze dernières années, que ce soient les universités, les opérateurs de la recherche ou les grands établissements culturels par exemple. Les rigidités sont plus fortes en ce qui concerne les administrations d’Etat (centrales et déconcentrées), qui hormis le ministère des Armées, peinent déployer des études de coûts ciblées et, a fortiori, de véritables comptabilités analytiques.


Il est sans doute plus difficile pour les administrations d’Etat, d’une part de délimiter les périmètres de charges et les règles d’imputation, de retraiter d’autre part les charges de structure très élevées qui, une fois ventilées, occultent l’identification des charges directes et la possibilité de les maîtriser (« On ne maitrise que ce que l’on contrôle » – Gibert, 1980).


Les guides méthodologiques portant sur la CAC se multiplient (AMUE, 2009 ; ANAP, 2015 ; ministères financiers, 2015) dans le secteur public et les corps de contrôle et d’inspection (Cour des comptes et Inspection Générale des Finances) sont désormais missionnés pour estimer la pertinence et les résultats des comptabilités de gestion.


Le choix complexes du modèle : une hybridation opérationnelle des modèles théoriques


Les modèles de CAC appliqués dans les secteurs public et privé ne sont pas fondamentalement antagonistes. Ce sont les objectifs qui diffèrent et le poids des contraintes inhérentes à la « mécanique analytique ».


Pour l’entreprise, les objectifs sont essentiellement internes et portent sur des choix de gestion en termes de rentabilité et de rendement différentiels des produits et touchent à la décision de poursuivre, d’arrêter ou de réorienter la production. Dans le secteur public, la CAC peut plus difficilement être adaptée « sur mesure » à l’organisation et à ses objectifs stratégiques propres. Les objectifs des analyses de coûts publiques sont à la fois internes et externes afin de répondre aux exigences de la tutelle pour les établissements recevant des financements socialisés ou des subventions pour charge de service public et à une volonté sous-jacente de parangonnage.


Les organisations publiques, même si elles privilégient les modèles en coûts complets de types « sections homogènes », mettent de plus en plus en œuvre des comptabilités analytiques centrées sur les processus et les activités, notamment face à la complexité parfois de définir un produit fini et divisible.


Le choix du modèle n’est pas neutre cependant car il est vecteur de la valorisation des coûts en fonction d’hypothèses : choix du périmètre, des retraitements des charges, des clés de répartition et de unités d’œuvre de déversement. Le « vrai » coût de l’action publique n’existe pas.


Les freins demeurent nombreux dans le secteur public. Parmi les plus fréquents, on retiendra :

  • La difficulté à dépasser une approche strictement budgétaire ;
  • La résistance des agents pour renseigner des fiches de rattachement de temps ou à participer à des enquêtes annuelles de répartition de leurs activités seuls moyens de fiabiliser la répartition des charges de personnel ;
  • Les incompréhensions concernant les retraitements comptables (incorporation de charges supplétives) ;
  • Les écarts de point de vue entre les ordonnateurs et les comptables publics du Trésor (« L’agent comptable veille à la cohérence de la comptabilité analytique avec la comptabilité budgétaire et générale de l’organisme. En cas de difficulté, il informe l’ordonnateur et, le cas échéant, l’organe délibérant. », Article 209 du décret GBCP du 7/12/2012) ;
  • L’opacité des ventilations analytiques et des déversements matriciels pour les utilisateurs finaux ;
  • L’adaptation imparfaite des systèmes d’information de gestion à la mise en place de la CAC, encore fréquemment réalisées à partir d’outils bureautiques.


Impulsée par les obligations réglementaires et le souci de l’efficience des managers publics, en période de tension budgétaire, la CAC sous ces différentes formes est devenue une réalité transversale à tous les types d’organisations publiques.


Bibliographie indicative


BURLAUD Alain et GIBERT Patrick (1984), L’analyse des coûts dans les organisations publiques : le jeu et l’enjeu, Politiques et management public, Vol.2, N°1, p 93-117

BURLAUD Alain et SIMON Claude J. (2003), « Comptabilité de gestion : coûts/contrôle », Vuibert gestion, Paris

DEMEESTERE René (2007), L’analyse des coûts : public et privé, Politiques et management public, Vol.25, N°3, p 101-114, Paris

DEMEESTERE René, LORINO Philippe, MOTTIS Nicolas (2017), Pilotage de l’entreprise et contrôle de gestion, DUNOD, Paris

GIBERT Patrick (1980), Le contrôle de gestion dans les organisations publiques, Les éditions d’organisation, Paris

Guide méthodologique de la contractualisation dans le cadre du contrôle de gestion (2002), DIRE, Ministère de la fonction publique et de la réforme de l’Etat, 2ème section, Paris

LAMBERT Alain (2001), Rapport d’information sur l’étude menée sur la réforme de l’ordonnance organique n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances – Senat : page 20 « Le principal frein à une présentation du budget par objectifs réside dans l’état d’avancement très inégal de l’analyse des coûts par objectifs »

PLOT Emmanuelle Plot et VIDAL Olivier (2014), Les Indispensables Vuibert : Comptabilité de gestion, Vuibert, coll. « Les essentiels », Paris

SMITH BAMBER Linda, WILKEN BRAUN Karen, HARRISON (2008), Managerial accounting, Pearson Education International Edition

Guide du contrôle de gestion à l'hôpital : 30 fiches-outils (2015), sous la direction d’Olivier BALY, ANAP, Paris

Mise en place d’une comptabilité analytique au sein des EPSCP : guide méthodologique (2005), AMUE, Paris

Les coûts liés aux fonctions support (2015), club des contrôleurs de gestion des ministères et financiers - Secrétariat général