Article paru dans PUBLIC ! Le blog de la recherche et de l'innovation en gestion publique.
Notes sur l'auteur
Sylvestre Perrault est consultant Associé chez YMAGO Conseil, expert opérationnel du management public.
L’emploi public, souvent sous le feu des critiques, est soumis à une performance accrue avec la LOLF
L’emploi public est un sujet sensible où la rationalité de l’analyse est en butte à de nombreux préjugés et d’a priori, naviguant entre le respect, l’incompréhension et l’offuscation.
Avec l’avènement de la LOLF et sa logique de performance, chaque ministère se voit désormais doté d’un plafond d’emplois. Libre à lui de répartir ce volume d’équivalents temps plein travaillés (ETPT) selon les besoins de l’action publique et la performance escomptée. Chaque programme de la LOLF est accompagné d’un plafond de dépenses de personnel devant servir les objectifs du Projet annuel de performance (PAP) à l’appui d’indicateurs idoines, avec l’ambition de dynamiser les ressources humaines du secteur public (1). Parallèlement, de nombreuses dispositions ont été prises, comme la mise en place d’outils de décompte des emplois, le développement de démarches Gestion prévisionnelle, des effectifs, des emplois et des compétences (GPEEC) ou des réformes visant à réduire le nombre de corps.
Ce mouvement n’échappe pas aux « opérateurs de l’État », entités exerçant une activité de service public et financées majoritairement par l’État et sous son contrôle, bien qu’à des degrés variables suivant leur statut, le montant de la subvention pour charge de service public dont ils bénéficient et leur degré de réponse aux dispositions du décret relatif à la gestion budgétaire et comptable publique (dit « décret GBCP »). En 2022, les 437 opérateurs de l’État emploient près de 478 000 personnes ETPT, dont 405 322 (2) sous le plafond d’emplois autorisés par la loi de finances initiale. Entre 2019 et 2022, la progression de 8 % des emplois est concentrée sur un nombre d’opérateurs en baisse (- 10 %).
On soulignera le large éventail de tailles d’opérateurs en termes d’emploi, de 48 278 ETPT pour Pôle emploi à 4 pour l’établissement public du Mont-Saint-Michel. Cinq opérateurs ou catégories d’opérateurs concentrent 60 % des emplois pour 29 Mds d’euros.
Par ailleurs, la diversité des statuts juridiques des opérateurs – 51 % sont des Établissements publics à caractère administratif (EPA), 32 % des établissements d’enseignement supérieur sous statut d’Établissements publics scientifiques, culturels et professionnels (EPSCP) et 8 % des Établissements publics à caractère industriel ou commercial (EPIC) – reflète la variété des situations juridiques des personnels, titulaires/contractuels relevant du droit public ou du droit privé.
L’enjeu significatif en la matière consiste dans le recueil d’une information complète et consolidée, au-delà des grands agrégats, permettant un pilotage ajusté d’un périmètre au contenu hétérogène.
Depuis 2009 (3), le pilotage des emplois et de la masse salariale s’impose fortement à ces acteurs au travers d’un suivi rapproché des plafonds votés. La production obligatoire de documents formalisés, et parfois compliqués, à l’instar du Document prévisionnel de gestion des emplois et des crédits de personnel (DPGECP) traduit la volonté des acteurs budgétaires de maîtriser comptablement les volumes financiers en jeu (4).
Pour autant, le formalisme comptable et budgétaire de ce pilotage, dont s’emparent encore difficilement certains opérateurs, risque de masquer sa dimension stratégique, à savoir : anticiper l’évolution des métiers, la mutation des habitudes de travail et de télétravail, ainsi que l’adaptation permanente des compétences à un environnement en transformation.
Les enjeux budgétaires des emplois et de la masse salariale des opérateurs de l’État favorisent un pilotage de nature comptable et formalisé
Dès 2016, le rapport annuel de la Cour des Comptes sur le budget de l’État soulignait le caractère incomplet, fragile et tardif des informations disponibles concernant les dépenses des opérateurs et la gestion de leurs emplois (5).
Dès lors, la nécessaire maîtrise de ce périmètre budgétaire et comptable favorise le développement d’un dispositif de remontée des informations essentiellement d’ordre quantitatif.
Les conseils d’administration des opérateurs votent à la fois un plafond des emplois autorisés par l’État et un plafond d’emplois qualifié de « hors plafond » de ceux autorisés par l’État, l’addition des deux constituant le plafond d’emploi de l’établissement. Ces informations sont censées donner une vision claire, aux administrateurs et à la tutelle, des emplois mobilisés par l’opérateur afin de répondre aux missions qui lui sont confiées et d’atteindre les objectifs contenus dans le Contrat d’objectifs et de performance (COP).
Plusieurs éléments viennent cependant contrarier l’objectif de précision poursuivie par la démarche :
₋ Les emplois dits « hors plafond », censés être temporaires, financés par les ressources propres de l’établissement, ont parfois un caractère pérenne à l’instar de ceux sur contrats de recherche.
₋ Les ETPT décomptés ne sont pas totalement représentatifs des ressources humaines disponibles pour l’atteinte des objectifs de l’opérateur(6).
₋ Force est de constater la difficulté rencontrée par de nombreux établissements à s’appuyer sur un scénario d’emploi fiable projetant le rythme des entrées et des sorties tout au long de l’année par catégorie, métier et type de contrat, faute d’une méthodologie stabilisée et de données fiabilisées.
La maîtrise de la masse salariale découlant de la maîtrise des emplois et de leur plafond représente également un chemin périlleux compte tenu des nombreux paramètres à piloter du fait de la complexité à les prévoir (Glissement Vieillesse Technicité [GVT], primes et indemnités, absences, heures supplémentaires…).
La difficile maîtrise de ces paramètres invite à identifier les différents modèles utilisables dans un exercice de prévision de la masse salariale.
Le déploiement d’approches prospectives et stratégiques, encore embryonnaires, compléterait cette dimension chiffrée
Une approche restrictive de la démarche de performance introduite par la LOLF et le décret GBCP pourrait conduire à considérer les démarches GPEEC comme parallèles, voire comme un sous-produit de la réforme budgétaire. L’allocation des ressources humaines doit pouvoir intégrer une dimension qualitative et personnalisée, au-delà d’une gestion trop souvent quantitative et indifférenciée(7).
Il s’agit dès lors d’intégrer de nouveaux paramètres, principalement sociétaux, pouvant avoir des effets à moyen terme sur la structure des emplois et l’évolution de la masse salariale :
a) La politique d’égalité femmes/hommes et l’application de l’index d’égalité consistant à
réduire les écarts de rémunération et d’augmentation salariale dans la durée et par
catégorie d’emplois, à anticiper l’impact des promotions et à tendre vers la parité dans les recrutement
b) La qualité de vie au travail (QVT) et son effet sur le temps de travail, notamment par la
réduction des absences, de la rotation des personnels, de l’absentéisme de courte durée et
du coût du recrutement. Les effets croisés des démarches QVT peuvent être pris en compte
entre les crédits de personnel, de fonctionnement et d’investissement.
c) La prise en compte du handicap notamment au travers des normes à respecter, du coût
d’intégration et d’adaptation aux situations de travail et plus particulièrement pour
l’ensemble des personnels afin de garantir la réussite opérationnelle de la politique mise en
œuvre.
d) Le déploiement de démarches compétences comprenant les dispositifs de formation tout
au long de la vie, l’utilisation accentuée du tutorat et du mentorat, la reconnaissance de la
Validation des acquis de l’expérience (VAE) dans la prise en compte des promotions et
l’évolution des modalités d’accès aux concours, le développement de nouvelles
compétences permettant de réagir et s’adapter à la survenance d’événements et de
situations de plus en plus changeantes (pandémie, mouvements sociaux, instabilités
économiques, géopolitiques et énergétiques).
e) L’intégration de nouvelles organisations du travail tournées vers une plus grande flexibilité
avec la généralisation du télétravail.
Conclusion
Le pilotage des emplois et de la masse salariale constitue un enjeu majeur pour les opérateurs dans un contexte de mutation de l’emploi public marqué par le décloisonnement des corps, le déploiement de politiques incitatives et la flexibilité managériale. S’y confronter, qui plus est en période d’incertitudes budgétaires, nécessite de renforcer les dispositifs et outils permettant une lisibilité partagée de la situation entre dirigeants, opérationnels et tutelles métier et budgétaire. Ces dispositifs permettraient ainsi de dépasser une dimension purement budgétaire pour aboutir à un pilotage stratégique et intégré par et pour toutes les parties prenantes.
Références
1 « La réforme de la gestion budgétaire comme facteur de dynamisation des ressources humaines dans le secteur public en France », intervention d’Yves Joncour à la conférence de l’AIEIA du 5 au 8 juillet 2006 à Varsovie.
2 Annexe au projet de loi de finances pour 2022 – opérateurs de l’État.
3 Circulaire de la Direction du Budget du 25 avril 2008 N° 2MPAP-08-1024.
4 Annexe au projet de loi de finances pour 2022 – opérateurs de l’État.
5 Cour des comptes, Le budget de l’État en 2016, Résultats et gestion, mai 2017.
6 Cour des comptes, Les relations entre l’État et ses opérateurs, janvier 2021. La Cour souligne dans ce rapport le paradoxe entre le nombre significatif de vacances d’emplois compte tenu des plafonds d’emplois fixés par l’État et la progression notable des emplois dits « hors plafond ».
7 Paul Peny, « La performance de la gestion des ressources humaines : un enjeu pour les services de l’État », Revue française de Finances publiques, n° 104, novembre 2008, LGDJ.