Yves Joncour est consultant co-fondateur d’YMAGO Conseil, auteur de nombreux articles et d'ouvrages sur le management public.
Il est aussi chargé d’enseignement de contrôle de gestion public (Master 2 Droit et Gestion Publics) et co-responsable de l'Executive Master «Audit des organisations publiques» à l’Université Paris-Dauphine.
Article extrait de l'Encyclopédie du management public, Gestion publique, IGPDE, 2022 (p.223)
Les coûts publics comme consommation de ressources rares
Comme le signalait Manuel Santo et Pierre-Éric Verrier (1993), la notion de coût appliquée au secteur public est « un concept qui ne va pas de soi et qui mérite quelques réflexions terminologiques ».
Un coût correspond à une somme ou agrégation de charges de natures différentes, voire à un différentiel de charges lorsque l’on aborde la question du coût marginal (MINEFI, 2000) à la base de nombreux débats sur le thème de la tarification publique. Pendant longtemps, le calcul d’un coût s’est avéré délicat au sein des organisations publiques, s’appuyant sur la comptabilité budgétaire (comptabilité de dépenses et de caisse) au détriment de la comptabilité générale (en droits constatés).
Un coût n’a de sens que si on le rattache à un objet, une « entité économique » (Burlaud et Gibert, 1984). Le champ d’application d’un coût peut être très divers, comme le souligne l’article 59 du décret portant sur la gestion budgétaire et comptable publique (GBCP) du 7 novembre 2012. Il peut porter sur une structure (le coût d’un équipement collectif (une salle de sports) ou d’un établissement public (une université)), une fonction de gestion, une prestation délivrée (un diplôme universitaire), un produit final (un titre administratif en préfecture), une politique ou une action publique (la lutte contre tabagisme), un processus (le subventionnement) ou encore un projet (le développement du numérique dans l’administration et de la télémédecine).
La typologie des coûts publics (Gibert, 1980 et DIRE, 2002) fait la distinction entre le contenu (coût complet ou partiel), la destination (coût direct et indirect), le comportement (coût fixe ou variable) et le moment du calcul (coût préétabli, standard, constaté a posteriori). Les organisations publiques, sous le couvert des comptables publics, ont tendance à recourir à une comptabilité de gestion affichant les coûts complets, incluant le déversement des charges de structure sur des objets de coûts intermédiaires et finaux. Les coûts publics sont généralement rétrospectifs, calculés après la clôture des comptes et l’établissement du compte financier, soit plusieurs mois après le moment de consommation réelle de la ressource (service fait).
Les coûts comme résultantes d’hypothèses
Identifier les coûts nécessite de savoir à quoi cela va servir et comment ils seront intégrés dans le système de contrôle et de décision (Burlaud et Simon, 1981 et 2003). Il n’y a pas de « vrai coût » ; celui-ci est toujours la résultante d’hypothèses préalables :
L’enjeu pour les organisations publiques est de deux ordres :
L’approche socio-économique des coûts et les externalités
Une particularité de la gestion publique est que celui qui supporte plus ou moins indirectement les coûts n’est pas toujours celui qui consomme et qui paie. La prise en compte des externalités positives ou négatives a amené les administrations à rechercher des valeurs tutélaires (coût de la vie, d’un déplacement en transport en commun, d’une nuisance, etc.) dans les calculs de choix d’investissement. La valeur actuelle nette socio-économique (VAN SE) prend en compte les impacts sociaux, environnementaux et sur l’emploi public.
Les études coûts-avantages retrouvent un nouvel élan et sont complétées par des analyses portant sur les coûts de transaction. Les coûts de recherche, de prise de décision, de négociation, de persuasion, ou de contrôle sont fréquents dans les administrations et induisent des surconsommations budgétaires.
L’apport des réflexions sur les coûts et la performance cachés (Savall et Zardet, 1995) a permis également aux organisations publiques de s’interroger sur le coût de l’absentéisme, de la non-qualité des prestations, de la lenteur des prises en charge ou de traitement des dossiers.
L’efficience et la maîtrise des coûts
L’efficience correspond à « la mesure du rapport entre les moyens mis en œuvre et les réalisations, ce qui intéresse plus particulièrement le contribuable » (direction du Budget, 2015). Elle vise à s’assurer de l’utilisation la plus adéquate des ressources humaines, techniques et financières mises à disposition de la structure publique.
Elle est souvent interprétée comme le devoir de rendre compte au contribuable du bon usage des fonds publics et de maîtrise des coûts. Mais l’on a tendance à confondre dans le secteur public l’efficience et la productivité qui compare de manière physique ou financière le rapport entre les réalisations, les coûts et les effectifs concourant aux activités. L’efficience traite de la qualité de la gestion et de la qualité des prestations délivrées. En général, deux indicateurs, l’un volumique ou monétaire, l’autre relatif à la qualité, sont nécessaires pour apprécier l’efficience.
Dans le calcul des coûts publics des administrations d’Etat, certaines dépenses (qui sont aussi des charges dans ce cas) sont considérées comme inéluctables, par nature mais aussi par montant, car contribuant à l’activité courante des services (voir les maquettes des Budgets Opérationnels de Programme – BOP). Elles représentent un facteur de rigidité budgétaire important par rapport aux charges flexibles sur lesquelles les gestionnaires publics devraient avoir prise.
Les coûts pour la décision et la communication
La décision publique est confrontée à la production de prestations coûteuses qui ne peuvent trouver un équilibre de gestion. Au-delà de la théorie économique des biens et services collectifs justifiant l’intervention de la puissance publique, les manageurs publics n’arrivent pas encore à piloter par les coûts et à s’inscrire dans une dynamique d’analyse de la valeur. La logique de l’offre tend à pérenniser les coûts existants et à trouver le moyen le plus cohérent pour les déverser, sans rechercher à les mettre en cause. La raison politique peut aussi l’emporter sur la rationalité économique et sur les coûts constatés lors d’alternative de type « faire ou faire faire » (Joncour et Perrault, 2007).
L’administration est en difficulté quand il s’agit d’aborder la question des coûts d’opportunité qui traduisent le coût du renoncement, de ce que l’on abandonne.
La recherche d’offres substituables demande des calculs de coûts qui peuvent bouleverser les conceptions du service public. Le raisonnement par substitution pose aussi la question de la complexité de l’action publique et du coût des activités qui sont déployées, sans rapport direct avec l’offre marchande qu’on lui oppose (par exemple : le coût d’une journée en hébergement social par rapport à une nuitée hôtelière).
Plus que sur le coût complet de la prestation, la décision et la communication doit porter sur les éléments de coûts élémentaires constitutifs de la prestation, mettant en valeur les élasticités valeur/coûts pour des activités sensibles en lien étroit avec les objectifs de performance (Demeestère, 2002 et 2007).
Enfin, il persiste dans le secteur public une valorisation positive des coûts (« ça coûte donc je fais ») qui tend à considérer que l’affichage de l’allocation massive de crédits est le signe d’une attention forte aux attentes des citoyens, contribuables et usagers. Or l’analyse des impacts différés des politiques et de l’action publique est le seul juge de paix de la justification des coûts incorporés lors des exercices précédents.
Bibliographie
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BURLAUD Alain et SIMON Claude J. (1981), Analyse des coûts et contrôle de gestion, Vuibert gestion, Paris
BURLAUD Alain et SIMON Claude J. (2003), Comptabilité de gestion : coûts/contrôle, Vuibert gestion, Paris
DEMEESTERE René (2002), Le contrôle de gestion dans le secteur public, L.G.D.J. Systèmes Finances publiques, Paris
DEMEESTERE René (2007), L’analyse des coûts : public et privé, Politiques et management public, Vol.25/3, p 101-114
Ministère des finances et des comptes publics (2015), Guide pratique du contrôle de gestion dans les services de l’Etat, Paris
GIBERT Patrick (1980), Le contrôle de gestion dans les organisations publiques, Les éditions d’organisation, Paris
Ministère de la fonction publique et de la réforme de l’Etat, Délégation Interministérielle de Réforme de l’Etat (2002), Guide méthodologique de la contractualisation dans le cadre du contrôle de gestion, Paris
Ministère des finances et des comptes publics, Direction du budget, (2000) Guide de l’autoévaluation du contrôle de gestion à l’usage des administrations d’Etat, Paris
JONCOUR Yves et PERRAULT Sylvestre (2007), L’ambiguïté de la relation client-fournisseur dans la gestion du régalien : le cas de la gestion mixte des prisons, Politique et Management Public, Vol. 25/4, p. 99-121
SANTO Viriato-Manuel et VERRIER Pierre-Éric (1993), Le management public, Presses universitaires de France, Que sais-je ? Paris
SAVALL Henri et ZARDET Véronique (1995), Maîtriser les coûts et la performance cachés, Economica (3ème édition), Paris